Enfin une bonne interview dans L'Equipe aujourd'hui (normal, c'est Bernès qui fait l'interview). Et puis au moins, on sait maintenant la nature de ces "problèmes perso" qu'il arrête pas d'évoquer avec des airs mystérieux.
« A Roland, j’ai un rêve »
Demi-finaliste en 2008, quart-finaliste l’an dernier, que va nous mitonner Gaël Monfils cette fois ? Le meilleur, comme en est capable le leader français sur terre depuis trois ans, ou la pire des plantades ? C’est aussi dur à prévoir que l’éruption d’un volcan islandais ou une liste de 23, 24 ou 30 de Domenech. Blessé à la main droite en mars, Monfils a de nouveau vécu un avant-Roland-Garros tourmenté. Physiquement, est-il à la bourre ? Mentalement, peut-il rassembler ses esprits à temps et se mettre dans une bulle ? Mystère... S’il part de trop loin, il n’arrivera pasà grand-chose. Mais avec Monfils, surtout à Paris quand sa famille et ses amis l’abreuvent de bonnes ondes, l’incendie peut prendre à tout instant. Son père Rufin est déjà sur place. Sa maman a posé ses RTT à l’hôpital où elle est infirmière et les copains vont bientôt débarquer. Il y aura de la vie autour de lui ; alors il y aura de l’espoir.
« COMME D’HABITUDE, on ne sait pas du tout si vous êtes prêt, moyennement prêt ou pas tellement prêt pour Roland-Garros. Pouvez-vous éclairer notre lanterne ?
– Non. Moi-même, je ne sais pas. Je reconnais qu’avec moi, c’est difficile de savoir. Une fois de plus, j’arrive à Roland avec une préparation loin d’être idéale. Et ce n’est pas parce que ça avait marché les deux dernières fois que ça va rigoler ce coup ci. Si ça se trouve, je vais prendre une “olive” dès le premier tour.
– Ce serait grave, non ?
– Grave ? Pourquoi ce serait grave ? Non, c’est le sport. Mais attention, le mec qui voudra me vaincre devra se la donner parce que je vais me battre comme un chien. Ça, c’est certain.
– N’y a-t-il pas un peu de superstition ou d’intox dans le fait d’arriver à Roland-Garros en “loucedé” ? Ces deux dernières années, vous étiez à moitié blessé, vous aviez caché votre jeu...
– ... Avec moi, c’est souvent le gros point d’interrogation. L’an dernier, avant l’US Open, je revenais de blessure, j’avais zéro repère et, malgré ça, j’ai réussi un beau tournoi. Aujourd’hui, je ne suis pas serein. Mais je n’ai pas peur non plus. Parce que c’est Roland, tout peut arriver.
– Physiquement, avez-vous le moteur pour tenir plusieurs matches longs ?
– Physiquement, je ne suis pas inquiet. Ce n’est pas parce que j’ai peu joué que je suis à la rue. J’ai bossé. La question, c’est la tête. Est-ce que mentalement je vais réussir à retrouver la grosse envie de matcher ? Ça...
– Pourquoi ? Vous n’avez pas envie en ce moment ? (l’entretien a été réalisé au tournoi de Nice où, effectivement, on n’a vu que du sous-Monfils)
– Bof, j’ai connu mieux. J’aimerais avoir super envie, j’aimerais ne penser qu’à Roland, mais il y a deux ou trois choses dans ma vie privée (vie amoureuse, maladie de Philippe Manicom, son ami et ancien acupuncteur...) qui me pèsent. Je sais, c’est souvent que ça m’arrive. Mais je suis comme ça. Je n’arrive pas à laisser mes soucis perso à la porte du stade. J’ai du mal à faire abstraction. Je sais que je dois être plus égoïste.
– Êtes-vous d’accord pour dire qu’à Paris, vous arrivez à sortir des choses spéciales de vous ? Ce n’est pas par hasard si vos meilleurs résultats, la finale à Bercy l’an dernier, la demi-finale à Roland-Garros, sont tous nés ici.
– Cent pour cent d’accord. Avoir près de moi ma famille, mes potes, ça me rend différent. Et puis j’aime ce stade. Je n’en ai pas peur. Le central, j’y ai fait tellement de conneries entre guillemets, que c’est chez moi. Je l’ai démythifié, je l’ai déjà baptisé “le bordel” ! (Il éclate de rire.) Mon meilleur souvenir à Roland-Garros, vous allez me prendre pour un barjot, ça reste un cache-cache, la nuit. J’avais seize ou dix-sept ans et je n’en dirai pas plus. (On croit savoir pourquoi.)
– Que va-t-il se passer cette année ? On parierait sur un scénario déjà vu : Monfils va nous faire un premier tour crapoteux. Un deuxième un peu meilleur. Et ce sera ensuite parti pour du grand Monfils...
– Ça se peut. Ce qui est bien et à la fois pas bien avec moi, c’est qu’on ne sait pas. Mais même moi, les gars, je ne sais pas ! Si je passe deux tours, alors là oui, je vais être chiant à jouer. Je m’en fous de ce qui s’est passé avant, de ce qui aurait pu se passer... Y aura peut-être un déclic. Mais bon, le favori français, ce n’est pas moi. C’est Jo (Tsonga).
– Bien sûr, c’est pas moi, c’est l’autre. Et hop, magie, un peu de pression en moins.
– Mais non, c’est mathématique. Jo a eu des matches tests sur terre cette année. Il a battu Almagro, il a failli battre Ferrero. Moi, rien. Jo sera dans les huit premières têtes de série, moi pas. Il est sûr d’éviter les Nadal, Federer, Djokovic jusqu’aux quarts. Moi pas. Mon troisième tour sera moyennement protégé et, en huitièmes, je vais prendre un gros du top 8 (1). Pas Jo. Sur le papier, si on regarde bien le papier, c’est lui la meilleure chance française.
– Avez-vous cerné ce qui vous a manqué ces deux dernières années contre Federer ( 2) à Roland-Garros ?
– De la réussite. Lors de la demi-finale, je ne suis pas loin d’aller au cinquième set. L’an dernier, j’ai une balle de premier set. Ça aurait pu se passer autrement. Regardez : l’an dernier, si Haas bat Federer (l’Allemand a mené deux sets à rien), ça change tout. Parce que je ne me vois pas perdre contre Haas sur terre. Après, contre Del Potro et Söderling, y aurait eu match. L’an dernier, je n’étais vraiment pas loin. Mais dans un coin de ma tête, je sais qu’il faudra battre Federer, Nadal ou Djoko en Grand Chelem si je veux obtenir ce que je souhaite. Je suis prêt à ça.
– Ça vous choque si on vous dit que vous avez cent fois plus de chances de gagner un jour Roland-Garros que d’être dans les trois premiers mondiaux ?
– Non. Encore que je suis persuadé qu’il y aura une année où j’arriverai à me stabiliser dans tout, et là, mon classement peut monter haut. Je l’aurai le déclic, je le sais.
– Une grande enseigne remboursera toutes les télés achetées chez elle si la France gagne la Coupe du monde de foot. Est-ce qu’elle n’aurait pas dû faire pareil avec les Français à Roland-Garros ? Autrement dit, pensez-vous que la France croit en vous ?
– 99,9 % des gens sont persuadés qu’aucun Français ne va gagner Roland-Garros. Qu’il y en ait 80 %, O.K., mais là... Ils se fient à ce que disent les journaux. Attention, je ne dis surtout pas qu’il faut nous encenser. Mais au lieu d’écrire tout ce qu’on n’a pas fait ou tout ce qu’on aurait pu faire, aidez-nous !
– Sauf que ce n’est pas notre travail...
– Je comprends. Mais j’ai des copains qui lisent les journaux et qui me disent : “Mais il est nul sur terre, Tsonga ou quoi ?” Je réponds : “ Mais jamais, les gars ! Il a fait huitième de finale l’an dernier.” Il n’y a pas un Français qui mettrait une bille sur Jo : c’est hallucinant !
– Et sur vous ?
– Pareil ! Les gens se disent : “Monfils, bon, on n’en sait rien. Il nous fait sa petite sauce, il se plaint toujours, c’est énervant.” Alors que j’ai quand même fait un quart de finale à Madrid. Si les gens pouvaient nous pousser davantage...
– Est-ce que Nadal peut ne pas gagner Roland-Garros cette année ?
– Oui, c’est possible. Ce sera dur parce que Rafa est en “rut” en ce moment. Pour le battre, je ne vois que des gars capables de frapper énormément de coups gagnants. Ça existe. Almagro en fait partie. Roger (Federer) évidemment. Söderling peut le refaire. Jo, s’il est super compact, s’il sert super bien, peut y arriver. Isner aussi. Et moi, si je tiens trois ou quatre sets comme au début de notre match à l’US Open l’an dernier (3), je peux aussi.
– Qui verriez-vous pour nous faire une “ Söderling” un an après ?
– Il y en a un paquet. Prenez Isner. Même sur terre, c’est pas un cadeau. Quand Rafa l’a battu à Madrid (7-5, 6-4), il était ultra soulagé. C’est un signe. Isner sera dans le top 10 en fin d’année. Ou alors au bord. Sinon, je vois Almagro et Gulbis. Plutôt Almagro que Gulbis d’ailleurs. Attention aussi à Wawrinka. Il est là le Stan ! (4) Et puis je mettrais bien une pièce sur Gasquet qui rejoue très, très bien.
– Votre ancien coach Thierry Champion pense que vous êtes né pour gagner Roland-Garros. Et vous ?
– Je l’espère. Si je finis ma carrière en n’ayant pas gagné ici, mais que j’ai gagné l’US Open, mon tournoi préféré no 2, ça m’ira. (Il réfléchit.) Enfin, pas tout à fait. Si je ne gagne jamais Roland-Garros, je serai défait.
– Donc gagner ici est votre objectif suprême ?
– Non. Dans tous les autres tournois, j’ai des objectifs. À Roland-Garros, j’ai un rêve. »
FRÉDÉRIC BERNÈS
(1) Théoriquement, il devrait retrouver Federer en huitièmes de finale.
(2) 2008 : défaite en demi-finales 6-2, 5-7, 6-3, 7-5 ; 2009 : défaite en quarts de finale 7-6 (8-6), 6-2, 6-4.
(3) Défaite 6-7 (3-7), 6-3, 6-1, 6-3.
(4) Il pourrait affronter Wawrinka au troisième tour.