Des racines et des îles
Guadeloupéen par son père, martiniquais par sa mère, Gaël Monfils est en tournée aux Antilles. Y a du sport et y a d’la joie !
LUNDI 16 NOVEMBRE, aéroport de Pointe-à-Pitre. Gaël Monfils est un homme-sandwich qui n’a rien à vendre. À l’arrière de son tee-shirt, on distingue très bien l’inscription « 971-972 » . Déception pour les groupies : non, raté, Monfils n’a pas fait imprimer son numéro de téléphone. « 971, numéro minéralogique de la Guadeloupe. 972, celui de la Martinique », évente-t-il. Mais oui, fallait y penser. Il fait demi-tour et, à l’avant, en plein sur les pectoraux, on lit « I am from Gwadanina ». « Gwada, c’est la Guadeloupe et Nina, ça vient de Madinina, l’autre nom de la Martinique », ajoute-t-il. Ce lundi 16 novembre, Gaël rentre chez les Monfils. Du côté de papa, on est de Petit-Bourg, à Basse-Terre. Le père, Rufin, est revenu vivre dans la maison de la grand-mère de Gaël. Du côté de maman, Gaël est de Saint-Joseph, village agricole de Martinique. Hier, Monfils devait justement passer d’une île à l’autre.
Comme Thierry Henry, Gaël Monfils a un père de Gwada, une maman de Nina et il est né en métropole. Made in Gwadanina, le numéro 2 français, treizième mondial, est aussi un « 75-93 ». Né à Paris, enfance dans le XIXe arrondissement, métro Place-des-Fêtes, puis adolescence à Bobigny, en Seine-Saint-Denis. Titi parisien, aujourd’hui résident suisse amoureux fou de Genève (si, si), Gaël Monfils descend avec nous dans ses racines antillaises.
« Mon premier souvenir, c’est moi à six ans, avec mes grosses lunettes, en train de jouer au tennis à Petit-Bourg. Tous les deux ou trois ans, on partait en congé avec mes parents. On faisait moitié-moitié entre Guadeloupe et Martinique. Quand j’étais enfant, j’étais défait de quitter Paris parce que j’allais manquer mes tournois. En plus, je n’aimais pas la bouffe d’ici : les fruits à pain, les bananes plantains-frites, les ignames, j’avais du mal. »
Et puis le temps a passé. Monfils a jeté ses grosses lunettes à la poubelle et il en a joué, des tournois. Le temps a passé et le voilà aujourd’hui la bouche pleine d’ignames, arrosés bien sûr d’Ordinaire, sa boisson fétiche fabriquée en Guadeloupe. Le temps peut bien passer mais, à chaque fin de saison, il revient ici, à la source. « Ma mère vit et travaille comme infirmière à Paris. Je passe donc moins fréquemment en Martinique qu’à Petit-Bourg, où mon père est revenu s’installer il y a deux ans et demi. Gwada, je la connais par coeur. »
Il descend toujours à l’auberge de la Vieille Tour au Gosier, chambre 81. Il loue sa voiture et la gare au moins une fois devant le Petit Creux. C’est là et nulle part ailleurs qu’il dévore les bokits, ces sandwiches créoles qui, foi et ventre de Monfils, « sont meilleurs qu’un McDo ou qu’un grec ». C’est dire si c’est bon.
Ici, tout le monde reconnaît Monfils Gaël. Le pompiste en grève de la station-service, la serveuse du McDo, la croupière du casino du Gosier, le plagiste, tous ont un mot gentil pour lui. Monfils est à l’aise là-dedans, tranquille comme Baptiste. Dans les rues de Petit-Bourg, dans celles de Pointe-à-Pitre, on change de trottoir pour lui serrer la pince. « On est “kontan” pour “twa”. Faut que t’insistes, faut que tu gagnes Roland-Garros. » « Ti male (garçon), on a tous regardé ta finale à Paris Bercy. Tu nous as fait plaisir. » Et ça n’arrête jamais.
Souvent, les compliments fusent en créole. Un problème ? Où ça un problème ? Gaël comprend et répond en créole. « Il a tout appris à l’oreille. Il écoutait, il reproduisait. Et il fait de moins en moins de fautes », félicite papa Rufin. À la maison, à Paris, le petit Gaël avait fait créole deuxième langue. « Quand mes parents n’étaient pas contents, ils grondaient en créole, rigole-t-il. Ça commençait en français et ça finissait en créole. Alors, à force, croyez-moi, vous commencez à progresser. »
« Il y a plein de jeunes Antillais qui n’ont jamais quitté leur île et qui ne pipent rien au créole, explique Ruddy, un ami de la famille. Parfois, à la télé, quand on le regarde jouer, on l’entend dire : “An Tchou Ay !” En créole, ça veut dire : “Allez !” On adore ! On dirait qu’il nous parle. »
Mais certains, pas nombreux, aiment chercher la petite bête. Nous y reviendrons à la fin du match. Là, nous sommes en plein foot, ce n’est pas le moment. Trente heures après avoir perdu contre Novak Djokovic en finale à Bercy, Gaël Monfils est en crampons et il fait des appels et des contre-appels sur la pelouse de l’Arsenal de Petit-Bourg. La fatigue d’une longue saison, d’un voyage de neuf heures, d’un décalage horaire de cinq heures avec changement brutal de climat (30° ici), ne le frôle même pas. Il court partout et plante le premier but après un grand pont et une frappe croisée.
Monfils jouera le match en entier (plus d’une heure). Absolument déraisonnable. « Normalement, c’est risque de blessure très élevé, dit Philippe Manicom, son ex-acupuncteur. Après un tournoi dur et avec du décalage horaire, ça peut finir avec les croisés (les ligaments du genou) bousillés. Mais Gaël n’est pas fait comme tout le monde. Moi, je l’ai vu jouer au basket avec une vilaine entorse de la cheville. »
Gaël, lui, ne voit pas le rapport. Il a oublié la fatigue, il dit qu’il s’amuse et qu’il a besoin de courir tous les jours. « À moins que ma copine me séquestre, je ne peux pas rester en place. Je suis un hyper, hyperactif. » Sa chérie, Oriane, n’étant pas là, il court.
De toute la semaine, Monfils Gaël n’arrêtera jamais. Du stade de foot au casino (soirée poker), du Tennis Club de Petit-Bourg (rencontre avec les enfants que Rufin entraîne ici à longueur d’année) à la plage (course en jet-ski), du plateau télé de RFO (invité du JT du soir) à l’école communale (discussion avec les élèves), jamais il ne s’est mis sur pause. Il faudrait l’ouvrir et regarder dedans comment ça se passe.
La défense centrale de Petit-Bourg, qui joue en Promotion Honneur, a souffert contre « coeur de Kényan », comme Monfils aime à se surnommer. Daryl, son jeune frère âgé de seize ans, marquera le deuxième et dernier but du match. Monfils frères - Arsenal Petit-Bourg 2-0. Sur le banc, Rufin, qui fut lui-même un très bon footeux, sentait bien que son anniversaire démarrait fort.
Ce lundi, Rufin fêtait ses cinquante et un ans. Après le foot, tout le monde finira chez lui et Dominique, sa compagne, et ce soir-là la nuit fermera très tard.
Heureux d’être là au beau milieu des cousins, des tatas, des musiciens, des tontons, des voisins, Gaël a depuis longtemps oublié l’interview du confrère de Radio Caraïbes. C’était juste après le match de foot. « Quel est le but de cette opération ? (…) Ne pensez-vous pas que vous pourriez rendre plus au peuple guadeloupéen ? (…) Vous êtes quand même un peu redevable, non ? » Voilà, en gros, pour les questions. Ç’a jeté un froid. « J’ai joué le même match l’an dernier et, comme vous n’étiez pas là, vous n’avez pas parlé d’opération, répondit Monfils. Je reviens juste chez mon père, je joue au foot avec des amis, point. Je ne veux pas donner qu’aux Antilles, c’est à tout le monde que je veux donner. »
Il existe pour une minorité de gens comme un malentendu avec les sportifs qui ont des racines ici. Parce que, c’est ce qui se dit, depuis Marie-José Pérec, Jocelyn Angloma ou Christine Arron, les champions d’origine antillaise ne courent plus ou ne jouent plus sur l’île. « Certaines personnes ne savent pas tout à fait comment se les approprier. Alors, ils leur font presque un procès en fausse “antillité” », regrette un vieux sage. « J’adore mes origines, j’en suis fier, mais je joue pour la France entière, clarifie Monfils. Que je gagne ou que je perde, c’est le Français qui joue. C’est pour ça qu’être le premier Antillais à réussir en tennis (Gianni Mina, d’origine guadeloupéenne, pourrait suivre), franchement, ça ne me parle pas. Est-ce qu’on demanderait à un mec qui vient de Corrèze ou de Charente s’il se sent redevable ? » Sûrement pas.
« 99,99999 % des Guadeloupéens n’attendent rien de Gaël, assure tonton Marius. Sauf qu’il gagne Roland-Garros et ça, c’est surtout pour lui. »
Les 0,00001 % seront contents d’apprendre que le Tennis Club de Petit-Bourg (un seul court exploitable actuellement) s’appellera bientôt le complexe Gaël-Monfils. Début des travaux d’ici à cinq mois. Sur les plans de l’architecte, il ya cinq courts, dont un avec gradins, un dojo, une piscine, un espace convivialité (la place XV, le nombre porte-bonheur de la famille Monfils) et, quelque part en évidence, une sculpture représentant le champion.
Petit-Bourg aura donc son club Gaël-Monfils, comme il a déjà sa salle d’escrime Laura-Flessel, elle aussi Petite-Bourgeoise. « C’est beau, s’émeut Gaël. J’aimerais que les terrains soient vite refaits pour les enfants et, s’il le faut, je mettrai la main à la poche. Mais je n’ai pas besoin qu’on dise que c’est moi qui le fais. Je voudrais juste que ça soit fait. »
FRÉDÉRIC BERNÈS