« Gaël sait ce qu’il fait »
THIERRY CHAMPION, l’entraîneur de Gaël Monfils, décode la métamorphose de son joueur, opposé aujourd’hui à Ivan Ljubicic.
Hier, à la veille de son huitième de finale, Gaël Monfils s’est entraîné une petite heure sur le court no 15, sous les yeux de son préparateur physique, Rémi Barbarin, de son père, Ruffin, de sa petite amie, la Slovaque Dominika Cibulkova, et, bien sûr, de Thierry Champion, son entraîneur. Après la séance, tandis que « la Monf’ » s’éloignait, préférant le silence pour rester concentré sur son objectif, « Champ’ » accepta de faire le point sur la première semaine de son joueur.
« VOILÀ, COMME EN 2006, Gaël Monfils est en huitièmes de finale. Mais joue-t-il bien pour autant ?
– Si on analyse profondément ses trois premiers matches ici, on va tous tomber d’accord : il peut mieux jouer que ça. Mais est-ce qu’en Grand Chelem on te demande de bien jouer ? Non, on te demande avant tout de mouiller le maillot. Et sur ce point, il est exemplaire. Je trouve qu’on n’a pas le compliment facile avec Gaël. Il a vécu une sale période avec des blessures, il revient depuis peu et il ne se plante pas à Roland-Garros.
– Pour en arriver là, il n’a pas battu des cadors (Clément, Horna et Melzer) et, tout à l’heure, il doit affronter Ivan Ljubicic qui n’est plus ce qu’il était. Secrètement, ne vous dites-vous pas que c’est son année ?
– Je n’en rajoute pas des tonnes mais je lui fais passer plein de messages positifs. “ Gaël, regarde, tu n’es pas fatigué, tu montes en régime, tes deux derniers sets étaient monstrueux…” Mais si je lui dis : “ Gaël, c’est ton Roland ! Personne ne t’attendait et là, le tournoi, il est pour toi ”, alors je fais une belle bêtise. Bien sûr, je préfère que Gaël affronte Ljubicic plutôt que Davydenko. Mais un mec qui a été numéro 3 mondial et demi-finaliste ici, s’il se remet dedans, il redevient ultradangereux. Gaël devra l’user et tout de suite.
– Justement, peut-il gagner longtemps en gardant ce style assez défensif ?
– Si vous voulez savoir si je crois que Gaël est meilleur quand il entre dans le terrain, la réponse est oui. Jusqu’ici, il s’est calqué sur le niveau de ses adversaires. Il fait souvent ça. Tout le monde le trouve trop défensif, trop loin de sa ligne mais personne ne souligne que, dans les moments critiques de ses matches, comme par hasard, il redevient conquérant. Sur les fins de set, c’est lui qui va au risque le premier. C’est le réflexe de quelqu’un qui lit bien les situations.
– La stratégie n’a jamais été la tasse de thé de Monfils. Et là, il serait devenu lucide, réfléchi…
– Oui, c’est ce que je vois. Contre Melzer, à deux sets à un contre lui, on est tous plus inquiets que lui ne l’est. Quand je le vois, après, dans le vestiaire, il me dit : “ T’as flippé, hein, dis-le que t’as bien flippé. ” Oui, Gaël, j’ai flippé, et toi ? “ Moi non, parce que j’ai vu qu’au début du quatrième set il ne me faisait plus de service-volée. J’ai compris qu’il n’avait plus le jus pour le faire. Là, il ne pouvait plus rien m’arriver. ” Je ne l’avais jamais vu, mais alors jamais, appeler un kiné dans un match quand il sentait les crampes venir. Contre Horna, tout seul, il l’a fait et il a même demandé des pastilles de sel au toubib. Avant, il ne mangeait rien, il ne buvait pas, on avait l’impression qu’il ne pensait pas. C’est fini, ça. Aujourd’hui, il sait ce qu’il fait.
« Accordez-lui du temps »
– Mais on a le sentiment qu’il gagnerait du temps et des forces à commencer ses matches comme il les finit. Le critiquez-vous parfois pour son attentisme ?
– Quand je vois ses trois premiers sets contre Melzer, je me dis que s’il entrait un peu plus dans le terrain, s’il frappait franchement, s’il swinguait son revers pour de vrai, ça ferait 6-3, 6-4, 6-3 et zéro fatigue. Mais sur le terrain, c’est quoi l’important à la fin ? C’est qu’il trouve la solution. Et il l’a toujours trouvée.
– D’accord, mais quel est le style qui lui conviendrait le mieux ?
– Quand j’ai recommencé à travailler avec lui (en décembre), on a évidemment ouvert le dossier “style de jeu”. Et Gaël m’a dit : “ Moi, je veux jouer style Blake. Dans le court et ça canarde.” Ça tombait bien parce que je pense que c’est comme ça qu’il arrivera à ses plus grandes victoires. Mais là où il s’est planté, c’est qu’il a cru que ça viendrait comme ça, facile. Il voulait frapper des coups isolés. Or, il revenait d’une longue parenthèse et il devait reconstruire sa base. Et puis Gaël ne peut pas jouer sur la ligne de fond de court parce qu’il n’a pas la même gestuelle que Blake. S’il fait ça, la balle lui saute à la gueule et c’est l’arrosage. Gaël doit reculer avec la balle et avancer avec elle, il doit la coller. Il doit le faire, il va le faire, mais accordez-lui du temps.
– Gaël dit qu’il ne sera jamais bon le jour où il ne sera pas heureux…
– C’est exactement ça. Samedi, il finit son match en cinq sets, il est en huitièmes de finale de Roland-Garros, il a une bonne trajectoire dans ce tournoi parce qu’il lui reste plein de gomme, et là, il est censé aller jouer en double mixte avec sa copine (la Slovaque Cibulkova). Je lui dis : “ Moi, je pense que c’est une connerie.” Lui me répond : “ Oui, mais moi, j’ai envie de le jouer.” On discute et je comprends que ça lui tient vachement à cœur. J’accepte. Je suis persuadé que si je dis non, je lui flingue son tournoi en simple. Parce que je l’aurais rendu malheureux. »
FRÉDÉRIC BERNÈS